[Théâtre] Critique – Polyeucte, mis en scène par Brigitte Jaques-Wajeman au Théâtre des Abbesses

Choisir entre Dieu ou sa femme. Tel est le dilemme.

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Titre : Polyeucte
Adapté de : la pièce Polyeucte de Pierre Corneille
Mise en scène : Brigitte Jaques-Wajeman
Au Théâtre des Abbesses
Dates de représentation :
 du 10 au 21 janvier 2017
Casting : Clément Bresson, Aurore Paris, Pascal Bekkar, Pauline Bolcatto, Timothée Lepeltier, Marc Siemiatycki, Bertrand Suarez-Pazos

Le Théâtre des Abbesses accueillait du 10 au 21 janvier 2017 une pièce de Pierre Corneille, peut-être pas la plus connue, mais qui demeure on ne peut plus d’actualité : Polyeucte, avec une mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman !

Au IIIe siècle après J.-C., alors que les chrétiens se font persécuter par l’empereur romain Decius en Arménie, Polyeucte, seigneur arménien, se convertit secrètement au christianisme. Pourtant, Polyeucte a tout juste épousé Pauline, la fille du gouverneur romain Félix. Il se retrouve donc déchiré entre son serment envers son épouse, et son serment envers Dieu. Et lorsqu’il décide de s’attaquer aux idoles des Romains, il signe son arrêt de mort…

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Le sujet religieux de Polyeucte en fait donc une tragédie bien particulière. Tout l’enjeu de la pièce reposera donc sur le dilemme de Polyeucte, qui n’a qu’une hâte : prouver son amour pour Dieu en mourant comme martyr ! Or, sa femme Pauline fait tout ce qui est en son pouvoir pour l’en empêcher, et Polyeucte doit puiser toutes ses forces dans sa foi pour résister à ses suppliques. Il pense alors trouver la solution en Sévère, le favori de l’empereur, qui fait son retour et dont Pauline était éprise avant son mariage. En poussant sa femme dans les bras de son ancien amour, Polyeucte est ainsi convaincu de pouvoir rejoindre un peu plus vite la mort…

Pour parler de cette pièce dont l’action remonte à des temps bien lointains, Brigitte Jaques-Wajeman a opté pour un décor à la fois sobre et imposant. Deux blocs géants et imposants de couleur pierre glissent comme des rideaux, révélant en fond une peinture d’un ciel bleu et un lit à deux places, symbolique du couple et de l’amour terrestre. Les personnages sont habillés de costumes modernes, entre robes rouges et costumes-cravate. La mise en scène se révèle donc efficace par son dépouillement, laissant place à des acteurs excellents.

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Si Polyeucte, joué par un Clément Bresson véritablement habité par le fanatisme et le tourment de son personnage, est sans doute LE personnage tragique de la pièce, la surprise vient étonnamment du côté de Pauline, son épouse. Incarnée par Aurore Paris, Pauline devient l’incarnation de la vertu, de l’amour qui veut sauver son mari envers et contre tout (surtout contre lui), et qui finira même par être touchée par la grâce des convictions de son mari.

Il est également très appréciable d’entendre les alexandrins résonner dans la bouche des acteurs, devenant des mots remplis de persuasion dans la bouche de Pascal Bekkar, jouant le rôle de Néarque, l’ami qui convainc Polyeucte de se convertir ou encore, des paroles d’amour désespérées pour le couple principal.

Étonnamment, la pièce a aussi des résonances modernes et féministes, montrant une Pauline qui refuse la condamnation de son mari par son père, dont elle a pourtant toujours respecté les ordres. C’est encore elle qui ira jusqu’à convaincre Sévère (incarné par le charismatique Bertrand Suarez-Pazos) d’intercéder en la faveur de Polyeucte.

Bien sûr, dans le contexte actuel, il est bien difficile de ne pas voir le parallèle entre la croyance de Polyeucte, très proche du fanatisme, et celle des jeunes qui choisissent de rejoindre les rangs de Daesh. Brigitte Jaques-Wajeman a d’ailleurs opté pour une fin différente de la pièce originale, ce qui peut être un choix assez discutable. Fidélité au texte ou adaptation à notre époque ? Elle lui donne ainsi une tonalité différente, en y glissant les mots acérés de Nietzsche : « Les martyrs furent un grand malheur dans l’histoire : ils séduisirent ».
Et étonnamment, malgré un sujet qui pouvait rebuter, force est de constater que Polyeucte était une pièce réussie et aboutie.

Bilan : avec une mise en scène et une distributions sobres mais efficaces, cette adaptation de Polyeucte par Brigitte Jaques-Wajeman séduit par sa solidité.

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